Cadeau pour LatitefraisedesboisTitre : Heureusement
Auteur : Mailine
Fandom : Vargas
Pairing : Adamsberg/Danglard
Rating : G
Heureusement
Le corps avait été retrouvé rue Emile-Richard, à cinq heures de l’après-midi. Mort par étranglement, avait déclaré le médecin légiste. Belle femme, avait ajouté Retancourt. Sublime, avaient confirmé tous les autres.
Ceci n’était pas un jour faste. Les meurtres amenaient les enquêtes, les enquêtes amenaient les questions, les questions amenaient les recherches et les recherches n’amenaient pas toujours grand-chose. Et c’était ce pas grand-chose, le problème. Parce que sans réponses, Danglard plongeait dans un océan de questions. Le ressac le frappait en plein visage, les vagues se faisaient plus violentes les unes que les autres et Danglard, perdu dans ce flot incessant ne parvenait pas à s’accrocher à une bouée de sauvetage. Et il suffisait d’un presque rien, justement, pour tout déclencher.
La Boule s’était étendue mollement sur le capot de l’imprimante et depuis, cette dernière refusait de fonctionner. C’était la grève, le blocus, l’abandon. L’imprimante, à bout de souffle s’était tout simplement arrêtée, vaincue par le poids de l’animal, acculée face aux demandes de plus en plus pressantes. Depuis plusieurs jours, elle crachait sans discontinuer le visage de la jeune femme retrouvée morte dans la rue Emile-Richard. Inconnue. Sans identité. Invisible de son vivant. Cette femme ne venait de nulle part, n’avait connu personne et n’avait pas de nom. Elle n’avait tout simplement pas vécu. Elle était tombée du ciel et la chute lui avait été fatale. Cette idée plaisait beaucoup à Adamsberg.
La main sur le capot de l’imprimante, il tentait de prêter sa force à la machine pour combattre le poids de la Boule. Il l’exhortait doucement à reprendre vie sous le regard contrarié de son adjoint.
- Il y a suffisamment de portraits placardés dans toute la ville, commissaire.
- Elle connaît les limites, elle sait quand ça déborde.
- Qui donc ? demanda Danglard, redoutant les pensées désordonnées d’Adamsberg.
- Je ne sais pas… Il n’est pas toujours facile de tout contenir.
Danglard sentait Adamsberg partir loin de toute réalité, auprès des mouettes. Il le sentait venteux, des ouragans s’engouffraient dans ses oreilles et ressortaient par l’arrière de son crâne. Le commissaire était exposé à tout vents, mais la brise semblait chaude et légère. Adamsberg semblait heureux.
- C’est comme si cette femme était tombée des nuages. Mais les nuages n’étranglent pas, n’est-ce pas ? D’où vient elle…
- Et nous, les hommes, d’où venons-nous ?
Danglard était tourmenté. Les questions sans réponse venaient le harceler continuellement et même les meilleures bouteilles ne parvenaient pas à l’apaiser. D’où venait cette fille, bon sang ? Et d’où venaient les hommes ?
Adamsberg observa Danglard en silence. La ride qui barrait les sourcils de son adjoint avait creusé un fossé entre ses deux yeux. Danglard se débattait dans le torrent de ses interrogations.
- Gardez l’esprit clair, capitaine. Les nuages n’étranglent pas… Cette femme n’a pas été élevée par des mouettes, nous la retrouverons. En attendant, venez, il faut aider les machines, elles se déboussolent rapidement. Comme les hommes.
- Quelqu’un viendra la remettre en marche plus tard. Je continue mes recherches.
Adamsberg retira doucement sa main de l’imprimante, la laissant lutter seule contre la Boule. Il respirait plus lentement, comme un homme aux aguets. Le vent avait projeté contre son crâne une étincelle. Une étincelle si fragile, si ténue qu’Adamsberg s’efforça de rester immobile, fermé aux vents, concentré pour que ceux-ci ne soufflent pas cette petite lueur si délicate et si précieuse.
- Colloque dans 5 minutes, déclara doucement le commissaire.
Adamsberg ferma les yeux un instant pour ne pas faire peur à la petite étincelle. Il fallait la nourrir et la caresser. Répondre pour elle aux questions sans réponse. Il le fallait, pour l’étincelle. Et pour le reste.
Tous les agents étaient rassemblés à la Brasserie des Philosophes, le regard fixé sur Adamsberg pour qui ces colloques avaient toujours été très pénibles.
- Cette femme ne vient pas des nuages, commença-t-il. Et si elle ne vient pas des nuages, c’est qu’elle vient d’ici. L’eau, dans son cycle continu, ne l’a pas créée à partir de tous les éléments qui constituent l’atmosphère, en piochant au petit bonheur une partie à gauche et une partie à droite. Avec tout ce qu’on trouve dans l’univers, on en aurait pas fini de chercher.
Danglard posa sa main sur le bras d’Adamsberg pour lui signifier de revenir au sujet.
- Oui, donc. Cette femme vient d’ici. Mais personne ne la connaît parce qu’elle ne connaît personne. Elle est invisible mais ne vient pas de rien.
- Je ne comprends pas, déclara timidement Estalère.
- C’était une femme seule. Tellement seule que la solitude l’a rendue invisible.
- Je ne comprends toujours pas, continua Estalère, à présent légèrement alarmé.
- C’était un ermite. Son choix était d’être invisible. C’était son désir, sa voie, son besoin. Mais elle venait bien d’ici.
- Ce n’est pas possible coupa Mordent. Si cette femme vivait en ermite, elle ne serait pas aussi bien habillée, pas aussi bien mise.
- Elle vivait en ermite, Mordent. Elle était invisible, jusqu’à ce que quelqu’un ne la place à la lumière du jour. Jusqu’à ce que quelqu’un ne l’habille pour brouiller les pistes, pour maquiller son crime.
- Ca ne tient pas la route, coupa Retancourt.
Adamsberg attrapa doucement la main de Danglard, sans vraiment s’en rendre compte. Il en avait besoin, pour tenir le coup jusqu’à la fin de ses explications sans partir voler avec les mouettes. Celui-ci ne fit pas de commentaire. En temps normal, il aurait été de l’avis de Violette, débattant avec force pour tenter de faire plier, en vain, les songes d’Adamsberg. Mais les idées d’Adamsberg étaient comme l’eau qui coule, incassables. Et puis, il y avait cette brise chaude et légère qui continuait de tournoyer autour du commissaire. Il semblait heureux et Danglard, étrangement, aimait bien voir Adamsberg heureux. Alors, il ne bougerait pas sa main. Il ne ferait pas un commentaire. Il n'essayerait pas de vaincre les idées fumeuses du commissaire.
- Quelqu’un seul connaissait son existence. Parce qu’il y a toujours quelqu’un, Violette. Personne n’est solitaire à ce point. Il y a toujours une personne. C’est la règle, et elle est inviolable. Il y a une personne et cette personne est notre tueur. Il suffit simplement de ça, parce que personne n’est tout à fait solitaire. L’assassin boit son café, quelque part, mais il n’est pas loin. On va chercher la tanière de cette femme et on va le trouver lui, vaquant à ses petites affaires d’assassin.
- Où habitent les ermites ? demanda Estalère que l’histoire du café avait rendu perplexe.
- Dans les montagnes, généralement, déclara Danglard.
- Mais il n’y a pas de montagnes à Paris ! paniqua Estalère.
- Mais il y a des endroits tranquilles, continua Voisenet. Il y a les parcs, certaines ruelles et puis, il y a les forêts…
- Il y a les forêts, confirma Adamsberg.
Les consignes avaient été données et les agents se levaient, partant rechercher l’antre secrète de l’inconnue. Adamsberg retira lentement sa main de celle de Danglard.
- Vous ne vous agacez pas contre mes certitudes dictées par le vent, capitaine ?
Danglard leva les yeux vers lui.
- Non.
- Bien. On va l’avoir, Danglard. Allons-y.
La ride entre les sourcils d’Adrien Danglard s’apaisait. Les questions sans réponses tournoyaient moins vite. Ca allait aller mieux. La brise légère et chaude autour d’Adamsberg creusait son chemin tout droit vers son adjoint.
Quatorze heures plus tard, Retancourt avait découvert la tanière de l’inconnue dans la forêt de Fontainebleau. Une heure plus tard, elle visitait l’église la plus proche.
Danglard regardait la Boule, affalée sur l’imprimante. La mer était devenue plus calme, le roulis moins violent. Il faisait beau. Un peu plus et il se coucherait là. Mais on n’en était pas encore là. Le port était loin, il y avait encore de la route. Restait à espérer que la brise continuerait de souffler. Cette incompréhensible brise chaude…
Une demi-heure après, Retancourt dénichait dans la chambre du prêtre en fonction, Paul Dejernin, des lettres écrites par la main d’une femme. Retancourt avait percé les lignes ennemies jusqu’au nœud du problème, plus forte qu’un bulldozer. Conversion d’énergie, disait-on.
Adamsberg était ailleurs, près des mouettes, loin de l’enquête et près d’autre chose, sans doute. Un groupe d’étincelles venaient sans cesse frotter contre le front du commissaire, essayant de pénétrer derrière le mur de chair. Elles s’allumaient, elles s’éteignaient. Adamsberg les laissait faire. Il baignait dans le chaos, entouré de brises légères, de vents violents et d’étincelles. Et ça s’agitait, dans un sens ou dans un autre. Ca s’envolait, ça tournoyait. Ca faisait son affaire. Le commissaire laissait les étincelles caresser son front, après tout, c’était leur problème d’étincelles. Il suivit des yeux un vol de mouettes, cherchant distraitement le grand chef de vol. Celui qui dirigeait tout, au final, parce qu’on ne pouvait pas faire autrement. Celui avec la ride au milieu des yeux.
Le lendemain, l’homme d’Eglise avait avoué le meurtre de Sara Vivers. Personne n’est seul toute sa vie. Sara Vivers avait rencontré Paul Dejernin par hasard. Celle-ci désirait sortir de sa vie d’ermite, qu’elle avait autrefois choisie par croyance, pour construire un foyer avec ce dernier qui, avait-elle penser, renonçait lui aussi à ses croyances en commettant le pêché de chair avec elle. Elle menaçait ainsi sa fonction et il l’avait tout simplement tuée, puis l’avait déposée dans une rue déserte, déguisée avec des habits qui n’étaient pas les siens. Les nuages ne faisaient pas tomber les femmes du ciel, les hommes d’Eglise commettaient des meurtres et des femmes s’isolaient dans des forêts. Au fond, pensa Adamsberg, mieux vaut que les hommes choisissent eux-mêmes plutôt que de tomber des nuages sans en avoir le choix.
Le commissaire avait placé sa main sur le capot de l’imprimante que personne n’était venu réparer, continuant son oeuvre. Danglard se tenait contre le mur. Il profitait des brises émises par Adamsberg. Cela l’apaisait.
- Alors, commissaire, il a avoué ?
- Oui, capitaine.
Il hésita un moment, avant de continuer.
- Vous voyez, dit-il doucement, peut-être ne savez-vous pas d’où nous venons, mais Sara Vivers, elle, ne venait pas de nulle part.
- Cela a de l’importance ?
- Je pense que cela en a pour vous.
- Etes-vous heureux, commissaire ?
Adamsberg sourit.
Danglard vint placer sa main sur l’imprimante, en face de celle d’Adamsberg. Il fallait aider les machines, parce qu’elles se déboussolaient vite. Un peu comme les hommes. Alors heureusement, pensa Danglard, que les nuages n'étranglent pas, que les femmes ne tombent pas du ciel. Heureusement que parfois les rides s'estompent, à grand coup de brises. Heureusement pour la chaleur et pour le reste. Heureusement.
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Les requêtes de Titef étaient :
Dans Harry Potter : Un Sirius/Severus, si possible in-character (ou du mons pas trop OOC). Je laisse tous les autres paramètres libres à l'auteure.
Dans Fred Vargas : Un Danglard/Adamsberg, plus fluffy que lemoneux (parce que sinon on y croit pas)... Pas d'autres exigences.
Dans le LOTR : Un Frodon/Sam, et là vous en faites ce que vous voulez, angst, humoristique, fluffy, réaliste ou pas... Tant qu'on a nos hobbits nationaux qui se font des papouilles! ^^