Une de plus qui s'y met! C'est que ce forum commence à changer de bannière, attention!!
A titre d'information,
éviter toutes substances illicites avant cette lecture. C'est un coup à perdre pied.
Pour celles que ça intéresse, voici trois liens retraçant le parcours des véritables empereurs Claude, Tibère et Néron. Les histoires sont passionnantes, et la plume de l'auteur particulièrement ragoûtante :
- Claude :
http://www.empereurs-romains.net/emp05.htm- Tibère :
http://www.empereurs-romains.net/emp03.htm- Néron :
http://www.empereurs-romains.net/emp06.htmPour les non-initiés :
spoilerSous les joyeuses divines- Fais-moi un câlin !
- Mon cher Claude, je suis sans doute confortable, mais en aucun cas un bisounours. Relève-toi sur-le-champ ou je serais contraint de révéler au monde l’image pathétique d’un grand empereur vautré sur le tapis, et tu sais comme la perspective m’est pénible, prononce lentement Tibère, posé sur le canapé avec toute la nonchalance d’un prince.
- Ce n’est pas un tapis qui démantèlera les plus grandes évidences de l’existence, répond l’importun dont l’haleine empeste la vodka pré-digérée. Et ta majesté ne sera jamais éraflée qu’auprès du mobilier témoin, et je ne te parle même pas de Néron … Alors câline-moi !
- Tu m’emmerdes, soupire mollement Tibère en poussant d’une paume le corps relâché de Claude, qui va finalement rouler sur le tapis promis, au pied du canapé. Dans la chute, sa jambe heurte le cadavre d’une bouteille de bière qui se fracasse sur une autre, dans une joyeuse symphonie de décadence humaine. Tibère contemple, puis soupire de nouveaux, bien forcé d’admettre qu’à cet instant précis, ils incarnent à eux deux toute l’élégance d’un tas de chiffons usés.
- Très bien, marmonne le pauvre avachi aux yeux comateux, si mes besoins de tendresse ne peuvent être entendus que par une carpette, je saurais m’y résigner. Au moins, elle, elle saura m’écouter sans m’interrompre, me consoler sans m’étouffer, m’aimer… m’aimer sans disparaître.
Tibère tourne indolemment la tête vers son ami répandu sur la tapisserie. Bientôt ses yeux sombres et fatigués se déplissent sur l’attendrissant spectacle du jeune empereur couché sur le ventre, la tête repliée sous une épaule, à deux phalanges de ses pieds nus. Tous les nœuds mélancoliques de son visage se sont relâchés dans une vague expression de quiétude, accrochée à la commissure de ses lèvres retombantes, d’où s’échappe déjà le souffle régulier du sommeil imbibé. Oui, noyé dans son brouillard éthylique au milieu du tapis, Claude lui semble attendrissant. Depuis quand ne l’a t-il plus constaté ? Il faut dire que ces derniers mois, seule l’étourdissante compagnie d’une pinte fraîche semble défaire Claude de sa tristesse racoleuse un peu plus de dix minutes. Ce n’est pas vraiment que Tibère approuve le geste, mais l’orgie rend à son ami le battement de vie qui lui manque au quotidien. Alors, Tibère laisse couler la gnôle pour retrouver le sourire de Claude. Certes, pour ce qui est de porter la bouche au goulot, Néron sait aussi avoir la main leste. Mais Néron, c’est une autre histoire, un autre genre, une autre pâte, moulée comme un entonnoir qui boit, engorge tout ce qu’il veut et modèle à sa guise. Néron l’esthète, qui voit de l’art jusque dans la déliquescence (et particulièrement). Néron le Grand, Néron l’Artiste. Non, décidément, Tibère ne peut pas s’inquiéter pour lui. Tandis que Claude, c’est différent. Lui est bien plus fragile, moulé dans le beurre tendre, que le moindre échauffement fait fondre. Plus encore ces deniers temps.
C’est sans doute la raison pour laquelle les soirées enfiévrées qui réchauffent continuellement les entrailles de Rome ne les bercent plus, depuis que la dernière passée ensemble avait foudroyé à gorgées de grande ciguë Henri Valhubert, le père de Claude. Forcément, Néron avait trouvé cela grandiose, Claude s’était flétri, et Tibère essuya six mois de taule pour défroisser l’habit zinzolin de monseigneur Lorenzo Vitelli, leur très saint protecteur, et très saint meurtrier. Réellement, cher monseigneur est un grand homme.
Ce fut donc avec honneur que Tibère s’était déchaussé pour marcher vers sa cellule, en attendant que la justice tranche pour lui. Un honneur et une consécration. Celle d’un véritable souverain biblique aux pieds nus. L’inspecteur Ruggieri qui l’avait condamné ne l’a jamais compris. C’est un concret, un pragmatique au raisonnement épais, qui n’entend absolument rien à l’éminence princière d’un pied déchaussé qui marche vers sa destinée. L’inspecteur Valence, en revanche, avait su apprécier le symbole sous ses yeux d’acier. Même Néron, que rien n’ébranle à part lui-même, y avait consenti. C’est dire toute la puissance, toute la portée du geste.
Emergeant subitement de ses réflexions intenses, Tibère réalise, à l’écoute des ronflements flottant dans l’air, que Claude a réellement sombré sur le tapis. Il se penche alors vers son ami et le secoue doucement.
- Claudius Drusus, prends le canapé. Tu baves sur la moquette, ce n’est pas très distingué, murmure Tibère d’une voix chantante.
Prenant les quelques grognements affleurant pour un assentiment, il décide d’amorcer le transfert carpette-divan de son ami, avec toute la peine que présente un corps perclus et peu coopératif. Une fois la besogne achevée, Tibère s’agenouille au dessus du visage de Claude, dégageant son front humide de quelques mèches collées avec ses doigts.
- La carpette ne te manquera pas trop ? susurre t-il à l’oreille de son compagnon. Ou bien préfère-tu que je te dégote une paire de seins chauds de passage pour te bercer jusqu’au matin ?
Claude sourit légèrement, tâchant d’accrocher les yeux bruns de Tibère pour ne pas s’assoupir.
- Où est Néron ? souffle t-il doucement.
- Dans son sanctuaire impérial, je crois qu’il essaie de gouverner, répond Tibère en considérant la porte à demi-close et sans lumière apparente, en face du canapé.
- Surveille-le, je crains qu’il n’essaie de se concentrer. Ce serait désastreux, réalise soudain le plus jeune, en laissant enfin ses yeux se fermer lentement.
A cet instant, un fin sourire soulève les lèvres de Tibère et sa main plonge doucement dans les cheveux humides de Claude, qui s’éteint peu à peu, la bouche entrouverte. L’aîné penché sur son ami se laisse aller à le contempler quelques minutes sous son giron protecteur. Et lui, de quelle pâte est-il fait ? Sûrement pas de celle qu’on étale mollement sur une tranche sans forme. Non, la pâte de Tibère se nourrit de consistance et de cohérence. Ses mots fédèrent et ses mains rassemblent. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il avait si vite accepté Néron au sein du duo consubstantiel qu’il formait au départ avec Claude. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la présence de Néron lui est vite devenue indispensable. Merde, pourquoi en vient-il encore à Néron ? Ce n’est pas vraiment lui le noyau du problème. Mais il pèse toujours bien lourd dans la balance des jugements de Tibère. Et pour cause, puisqu’ils se complémentent. Néron fabrique la matière et Tibère l’édifie. L’un fabule et l’autre articule. Leurs talents se croisent et s’emmêlent depuis qu’ils se côtoient, comme une mécanique bien huilée. Et Claude, qui jadis se reposait déjà sur le bagou de Tibère, n’a plus qu’à se laisser bercer par les éruptions fantasques de ses deux compagnons. Sa touchante vulnérabilité avait toujours apporté la tempérance au cœur de leur empire suranné, comme un point d’équilibre autour duquel gravitent deux lunules déchaînées. Mais aujourd’hui, cette vulnérabilité est saignée à blanc. Le voilà, le vrai problème. Tibère le sent dans son ventre. Aussi inconcevable que ceci puisse paraître, leur indissociable trinité se fendille sous l’abattement de leur cadet.
Ces pensées perdues finissent par amener naturellement le regard de Tibère sur l’entrebâillement de la porte de la chambre d’en face. L’intérieur est toujours obscur, et aucun bruit n’en transpire. Que peut bien foutre Néron dans cette pièce complètement noire ? Dormir ? Certainement pas. Néron préfèrerait dégriser lamentablement sur la place Saint-Pierre, à la vue du monde, plutôt que de s’enfermer dans l’obscurité pour cacher sa déchéance. Quand Néron s’isole, c’est qu’il s’éveille. Et quand on en a l’occasion, il ne faut pas manquer ça. Alors Tibère se relève lentement puis finit par pousser la porte pour contempler le miracle. Un courant d’air froid s’échappe instantanément de la chambre, donnant l’impression d’une énorme béance avide de chair tendre. Assis sur une chaise en travers de la pièce, Néron bat lentement l’air de ses mains, la tête renversée et les yeux clos, comme à l’écoute d’une cadence imaginaire. La fenêtre grande ouverte laisse couler les odeurs du pavé humide de Rome sur les murs, tandis que la mini-chaîne allumée clignote sans aucun son.
- Tu essaies d’envoûter la chaîne Hi-Fi avec tes ondes cérébrales ? Laisse-moi t’annoncer une triste nouvelle, mon ami, cette opération exige la compétence d’un esprit pensant, or tu ne penses pas, chantonne Tibère, les mains appuyées de chaque côté de l’encadrement.
- Ferme la porte, veux-tu ? Ca crée des interférences, dit mollement Néron, sans s’interrompre.
Tibère s’exécute paresseusement avant de se diriger vers la fenêtre pour faire de même.
- Laisse ouvert ! Il me faut un courant circulaire pour opérer, informe Néron, toujours profondément inspiré.
Tibère soupire et abandonne la manœuvre, réprimant un léger frisson.
- J’y suis ! Tu comptes transformer cette pièce en chambre froide, dit-il en saisissant un gilet de son acolyte replié sur une autre chaise pour l’enfiler.
- Cesse de frétiller comme une anguille. Tu parasites toutes les ondes réceptrices de mon cerveau, soupire Néron en levant ses deux index comme des antennes.
- Parce que tu t’obstines à vouloir charmer le mobilier ? Je te préviens, les échanges communicatifs seront sans doute assez stagnants. Mais je comprends que tu veuilles étendre ton réseau social. Et puis, je dois te laisser faire le deuil de la pensée mouvante.
- Je médite. Je ne pense pas, explique Néron, c’est tout le contraire. La méditation consiste à harmoniser les ondes en l’absence de pensée. La méditation est noble, la pensée est fruste. Elle fait les imbéciles et contente les présomptueux. De toute façon, je ne pense pas, c’est un fait. Tu ne veux pas harmoniser les ondes avec moi ? Je suis persuadé que les vibrations seront meilleures si tu joins tes doigts aux miens, et que nous les levions ensemble. Peut-être même pouvons-nous nous balancer à l’unisson pour favoriser le flux. Tu crois que c’est une affaire d’angle ? Je vais pencher vers la droite, et toi vers la gauche.
- Néron, Claude ne va pas bien, prononce Tibère, le ton grave, en s’asseyant du bout des fesses sur le bord du petit bureau disposé sous la fenêtre.
- A moins que ce ne soit qu’une histoire d’équilibre. Il faut trouver le point de jonction ultime et ne pas s’encombrer de futilités ordinaires. Ca t’ennuie si j’enlève mon caleçon ?
Exaspéré, Tibère se lève et éteint sèchement la chaîne Hi-Fi qui continuait d’émettre en silence.
- Tu as entendu ce que je viens de te dire ? Claude est entrain de s’échapper totalement ! siffle t-il entre ses dents.
Néron redresse lentement la tête et ouvre enfin les yeux.
- Quel mal y a t-il à s’amouracher d’une carpette ? dit-il, l’air absent.
- Tu l’as vu sur le tapis ?
- Je l’ai entendu faire sa déclaration.
Tibère laisse alors échapper un soupire désespéré en voyant Néron reprendre son imperturbable ballet. Il y a quelque chose d’irrésistible chez Néron qui le décontenance systématiquement. Quelque chose de déplacé qui pique toujours au vif, comme une aiguille embusquée dans une sympathique pelote de laine. Pourtant, chaque fois que Néron se fait silencieux, Tibère se surprend à provoquer cette désinvolture agaçante. Comme si ce silence l’effrayait, l’irritait. La douce folie du souverain artiste nourrit les esprits coquets comme celui du jeune empereur patte-pelu qu’il représente. Mais elle a aussi le don fantastique gratter les cordes sèches, comme ce soir, alors que l’état de Claude turlupine Tibère plus que de coutume, et que Néron dérive joyeusement dans les sphères obscures. Oui, par moment c’est comme ça, Tibère se sent l’envie de secouer Néron, de brimbaler sa tignasse blonde et bouclée, de gonfler ses yeux apathiques d’un peu de surprise. Ils sont pourtant beaux, ses yeux verts et délicats. Ils le seraient encore plus s’ils vivaient en dehors de ses frasques de petit césar songe-creux. Vraiment, ces vétilles malvenues, quoique de routine et souvent partagées, écorchent sérieusement la patience de Tibère. A présent, le voilà énervé, et pourtant parfaitement silencieux, les yeux perdus dans le vague.