Voici un petit texte, écrit lors de la visite de Half, Marc-Antoine et de KatSou. Nous avons fait un atelier d'écriture et voici ce que ça a donné.
Thème : l'épreuve du sac de couchage (maudite sois-tu, KatSou!)
Personnages : Bob Kelso et Perry Cox (Scrubs)
Il savait qu’il aurait dû refuser, s’opposer à sa femme et à son idée saugrenue. Quand il avait vu Jordan se poster devant lui avec son petit minois jubilatoire, il aurait dû fuir loin, très loin, quitter le pays et s’exiler au Canada. Non, mieux encore. Il aurait dû la bâillonner et l’attacher puis il l’aurait enfermé dans la réserve d’eau sur le toit ; l’homme d’entretien lui avait assuré que c’était une planque sûre.
Tout plutôt qu’écouter les délires de cette bonne femme. La maternité lui avait grillé les quelques neurones qui lui restaient. Ou c’était le silicone injecté dans ses lèvres qui lui était monté au cerveau…
Il aurait dû se méfier. Oh oui, il aurait dû ! Surtout en remarquant Joséphine qui se planquait derrière une plante verte, essayant d’être discret. Comme s’il l’avait jamais été de sa vie ! Mais persuadé qu’il était que Bobo allait refuser, et voulant pouvoir tirer son coup hebdomadaire, il avait bêtement relâché la garde… Quel abruti qu’il était ce Keslo d’avoir accepté !
Il savait qu’il aurait dû s’opposer à cette femme et à son idée saugrenue. Quand il avait vu la femme du docteur Cox se planter devant lui avec cet air de mauvaise joie inscrit sur son visage, il aurait mieux fait de continuer son chemin et d’écouter les récriminations de ce pathétique Ted ! Non, mieux encore. Il aurait dû attacher la femme à l’avocat lorsque celui-ci avait tenté de se jeter du toit, lesté par une pierre (le lac était asséché à cette époque de l’année, ce qu’il l’avait encore plus déprimé !). Il n’aurait jamais dû écouter cette femme ! Après tout, il ne supportait déjà pas la sienne, qui n’avait le droit de lui adresser la parole que cinq minutes par jour, ce n’était pas pour avoir à souffrir des conversations des autres !!!
Il aurait dû voir le coup venir, surtout connaissant la jeune femme ! Apercevoir Turkington tendre l’oreille pour écouter la conversation aurait dû finir par l’alerter.
Mais il s’était laissé aveugler. Après tout, cette femme faisait parti du conseil d’administration et puis, il était persuadé que Cox refuserait. Il aurait dû se souvenir que c’était un malade mental, doublé d’un pervers…
Descendant du tout-terrain, loué pour l’occasion, les deux hommes s’immobilisèrent devant l’étendue d’eau. Ils n’osaient pas se regarder, se remémorant chacun les paroles mielleuses et fausses de Jordan.
« Une partie de pêche… Pour vous rapprocher… bonne entente dans l’équipe… Intérêt à faire ça si tu veux continuer à me toucher/si vous voulez avoir des fonds pour financer votre nouvelle tapisserie dans votre bureau. »
Ils évitèrent de se parler durant la journée. Ils devaient survivre pendant trois jours. Trois petits jours. Du matin jusqu’au soir. Dans la voiture, ils en étaient venus à la conclusion que la meilleure façon de subsister à leur séjour était d’éviter au maximum les confrontations. Chacun voulait pouvoir retourner chez lui en un seul morceau. Leur accord réussit à tenir jusqu’au soir. Cox alla chercher du bois, non sans ronchonner, mais ce fut Kelso qui dut se coller à la tâche ingrate de cuisiner –carboniser, marmonnait Perry- les quelques poissons rachitiques qu’ils avaient miraculeusement pêchés. Heureusement, Kelso, prévoyant, avait ramené des converses qu’il monnaya à Cox contre des compliments face à leurs internes. En temps normal, le médecin aurait refusé mais il était affaibli par la faim et le contexte anormal, il n’avait pas bronché.
Quand ils eurent fini de manger et de ranger la vaisselle, Perry en laissa le soin à Bob, ils allèrent se préparer pour la nuit. Ce fut à ce moment fatidique que les ennuis commencèrent. Ils eurent beau chercher partout dans la voiture, aucun des deux ne retrouva les sacs qu’ils avaient pourtant bien rangé dans le coffre, le matin même. Ceux-là, ils ne purent jamais mettre la main dessus mais ils finirent par tomber sur un autre sac et un message.
Les mains tremblantes, Cox déplia la feuille de papier. Il reconnut l’écriture en pattes de mouche de Jordan. Il la parcourut, fébrile.
« Voici l’épreuve du sac de couchage, » réussit-il à dire, blanc, à un Kelso perplexe.
Les deux docteurs, comme un seul homme, se tournèrent vers le dit sac.
Pendant de longues minutes, personne ne bougea. Puis Perry lança finalement.
« Hé, Bobo, on le joue comme pour les boîtes de conserve. Vous me le laissez et je vous lèche le cul devant les internes et les administrateurs réunis. »
Le plus vieux lança à Perry Cox un regard furieux. L’autre homme sourit et alla porter une main sur le sac quand il le vit filer dans les bras de son supérieur.
« - Bien que la perspective d’un tel spectacle semble alléchante, je ne vous suis pas ! Ici, c’est moi le chef ! Je vous rappelle, de plus, Perry, que c’est de votre faute si nous sommes dans cette situation. Si votre folle de femme n’avait pas eu cette idée des plus grotesques, je serai à cette heure-ci chez moi, à siroter un bon cognac, tout en écoutant un concerto, ma femme couchée à mes pieds. »
Les deux médecins s’affrontèrent du regard. Perry sentait la colère, qui était née durant sa conversation avec Jordan, enfler en lui. Il chauffait, la fumée lui sortant des oreilles. Toutes ces années de haine dirigée contre l’autre docteur pesait en lui et il se sentait prêt à sauter à la gorge du vieil homme et à l’étrangler avec un grand plaisir libérateur. Kelso, voyant le visage de son subordonné changer et une lumière meurtrière s’allumer dans son regard, recula d’abord lentement puis, faisant volte-face, il se mit à courir. Il ne savait pas où il pourrait aller mais il devait mettre de la distance entre eux.
Les deux hommes se coursèrent ainsi pendant plus d’un quart d’heure, courant en rond autour du feu. Cox réussit à mettre les mains sur Kelso, qui peinait. Ils se chamaillaient, tirant chacun un bout du sac. Kelso sentait peu à peu ses forces le quitter. Il maudissait l’autre docteur qui jubilait de voir sa victoire programmée. C’est alors que le plus vieux lâcha le sac, prenant totalement au dépourvu Perry qui pensait devoir lutter encore quelques minutes. Le sac échappa aussi des doigts de Cox et s’envola. Pour atterrir quelques mètres plus loin. Dans l’eau.
Les deux hommes, fatigués, les bras ballants, fixèrent le bout de tissu s’engorger d’eau puis petit à petit couler.
Perry, épuisé, se laissa tomber au sol. Il était vaincu. Ils étaient tous les deux vaincus. Il allait proposer une trêve à l’autre homme quand il entendit le rire désagréable de son supérieur. Il eut juste le temps de se lever pour apercevoir le plus vieux fermer la portière derrière lui et verrouiller chacune d’elles.
Cox, d’un pas ferme, se rua vers le tout-terrain et essaya d’ouvrir une porte. Bob lui fit un petit sourire joyeux et se renfonça dans le siège arrière pour pouvoir dormir confortablement.
Perry eut l’idée de casser une vitre avec une pierre mais il se rappela que c’était sous son nom, et donc avec sa carte de crédit, qu’ils avaient loué la voiture. Furieux, il se dirigea vers le feu, contraint à se pelotonner dans son blouson pour se construire un petit nid douillet pour passer la nuit.
Le lendemain en fin de journée, Jordan sursauta en entendant la porte de leur appartement s’ouvrir. Voyant l’était de colère mais aussi de saleté de son mari, elle eut du mal à contenir son rire.
« Perry, je ne t’attendais pas avant deux jours. Non, ne t’approche pas de moi ! Va te laver. J’ai passé l’âge de fantasmer sur les hommes préhistoriques hirsutes et puants ! »
Cox esquissa un sourire mauvais. Sans un mot, il retira d’entre les doigts de sa femme le jouet qu’elle avait pour le tendre à leur fils.
« Tiens, mon chéri, joue tout seul un petit moment. Maman et moi, nous devons discuter.
- Perry… non… Perry ! » essaya de dire la jeune femme, consciente des risques qu’elle prenait en suivant son mari.
- Ne t’inquiète pas, ma chérie, je ne vais pas te faire du mal. »
Prenant sa femme par le bras, il l’entraîna vers la porte de l’appartement qu’il ouvrit. Il fit sortir Jordan puis lui tendit un sac de couchage trempé.
« Tiens, mon amour, passe une bonne nuit. »
Sur ces paroles, Perry Cox ferma la porte sur laquelle la jeune femme trouva son mot :
« Voici l’épreuve du sac de couchage. »