Ben dites donc, je me permet d'envahir ce forum... ^-^
Voilà voilou, c'est parce que Gred (tout est de sa faute, en effet
) m'a suggéré de poster cette nouvelle, et qu'apparement Half était curieuse de la lire aussi...
Elle a été écrite dans le cadre d'un concours qui avait pour thème "le pays de mes rêves"...
Je crois que c'est la version corrigée, enfin, j'espère ^^;;
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Martin Il faisait froid et soleil. J’étais assise sur le porte-bagages du vélo de Martin et il filait à toute vitesse. Je sentais les battements de son coeur me remonter le long du bras. Ma joue frottait le cuir rêche de son blouson.
Martin sur son vélo était véritablement le roi d'Amsterdam! J’aurais pu faire la reine. Seulement, Martin ne "préférait pas".
Je ne protestais pas. Cinq jours avec lui, c’était déjà pas mal. Pas besoin de gâcher l’ambiance avec des plans drague à deux balles. La nuit, notre petite chambre d’hôtel se remplissait de sa respiration.
Inspire, expire... Je calquais mon souffle sur le sien.
Il y avait dans Martin comme une lumière diffuse qui devait partir des environs de son nombril. Elle vibrait autour de lui, comme une aura verte et rouge - les couleurs de Noël... Il avait un rire un peu fou, toujours décalé. Un grand rire chaud qui faisait peur au commun des mortels et qui moi me réconfortait.
Martin. Un nom si commun pour un gars si insolite. Il portait des baskets rouges vifs, usées jusqu’à la corde, avec un grand trou dans la semelle gauche. Ses cheveux pointaient en tout sens, il ressemblait à un hérisson aux piquants tout doux tout doux...
Je l’entends encore, certaines nuits. «Tu sais, Rosalie, la mer est bleue sous mes yeux. Il y a des sirènes, et un grand soleil mauve.» Je souriais. Il me racontait souvent ce monde intérieur, ces fleurs qui
ne fanaient jamais, cette mer immense, ces filles dorées comme les croissants... Je le trouvais encore plus beau dans ces moments-là. Il fermait les paupières et il me décrivait tout ce qu’il y avait derrière.
«Aujourd‚hui, il y a des nuages. Il va pleuvoir. La pluie sera rouge à cause des mouettes. Elles griffent les nuages de leur bec, les déchirent, jusqu’à ce qu’ils saignent... Et alors il pleut ! Ce n’est pas plus cruel que les lions qui mangent les gazelles. Les mouettes savent quand il faut pleuvoir. Voilà, ça y est... Tu vois ça, Rosalie ? Les gouttes rouges se fondant dans la mer bleue, ça fait des grandes étoiles mauves, comme des taches d’encre absorbées par le papier !»
Je ne m’appelle pas Rosalie, mais Martin, après m’avoir longuement regardée, avait déclaré que c’était mon nom intérieur. Il avait ajouté que c’était comme un champ de tournesols, comme les mains douces et usées d’une grand-mère...
Il aimait bien rebaptiser les gens. Il disait qu’il avait un don pour ça. Que c’était sa mission sur terre. D’après lui, chaque homme qui connaissait son nom intérieur était un homme heureux.
On s’était arrêté à une petite boulangerie. C'était le quatrième jour de notre voyage. J’avais terriblement faim, de ce genre de faim qui vous fait mordre votre main, en espérant vaguement qu’elle ait un goût de glace à la pistache...
Pendant que je tentais d’acheter un pain en néerlandais, exercice on ne peut plus périlleux, Martin sortit brusquement de la boutique. Je ne m’inquiétais pas. Il quittait souvent aussi précipitamment les lieux, atteint de crises de claustrophobie.
Il disait que dans ces moments-là, une pieuvre s’accrochait à son coeur et l’empêchait de battre. C’était son monde et sa mer, qui l’écrasaient, le remplissaient trop solidement, l’effaçant du réel... Il devait alors respirer le dehors, les gens, les gaz d’échappement. Il me disait qu’un jour, il n’y échapperait pas, qu’un jour il mourrait étouffé par ce pays qu’il avait lui-même inventé...
Je ne le croyais pas. Martin serait toujours là, à mes côtés. Peut-être pas aussi proche que je ne l’aurais voulu. Mais présent.
Quand je suis sortie, il était contre une rambarde surplombant un des nombreux canaux qui sillonnent Amsterdam. Il avait ce drôle de sourire et les paupières closes. J’ai effleuré son bras. Quand il a fait mine d’ouvrir les yeux, j’ai posé mes doigts dessus, pour les laisser clos.
«-Raconte...
-... Il fait beau. Le soleil ressemble à une grosse prune juteuse. Il y a une fête, je crois, et des filles qui dansent... Elles ont de longs cheveux blonds, et leur peau est blonde, même leurs yeux sont blonds ! Elles se confondent avec le sable, tiens, il y en a une, là-bas, qui est couchée, je ne l’avais même pas vue... Les mouettes tournent autour, et les sirènes sont jalouses, elles font des bulles dans la mer. La mer, d’ailleurs, commence à bouillonner, à s’agiter, à cause de toutes ces bulles de sirènes...»
Parfois, comme en cet instant, il s’interrompait et une expression d’angoisse se peignait sur son visage. Comme s’il faisait un mauvais rêve.
On est retourné au vélo, ma main tenant la sienne un peu moite. Je ne posais jamais de question, c’était notre accord tacite. Il me racontait ce qu’il voulait bien, seulement ça...
Après ça, direction le musée Van Gogh. Je dois vous avouer que la peinture c’est pas trop mon truc. Je veux dire, ça ne me transmet rien. Oh, bien sûr, c’est joli - enfin parfois. Mais ça ne me raconte pas d’histoire.
Martin était dingue de Van Gogh. D’après lui, c’était le seul peintre qui avait vraiment apprivoisé les couleurs. Je ne sais pas trop ce qu’il entendait par là. Il m’a traînée à travers les salles, s’extasiant à chaque pas. Il disait que chez lui - dans son pays imaginaire - tout avait cette intensité douloureuse qui transparaissait chez Van Gogh.
Je n’arrivais pas à voir comme il voyait. Les peintures me paraissaient fades à côté des lèvres roses de Martin qui laissaient entrevoir l’ivoire
tendre de ses dents. Il parlait tellement vite qu’elles ressemblaient à des papillons, battant des ailes irrégulièrement. Comme toujours quand je l’observais trop longtemps, un brasier engloutit mon ventre et je me sentis chanceler.
Lorsque j'eus fait le tour des salles deux fois, je le laissai et retournai à l'hôtel. Il s’en fichait, absorbé par un autre, un peintre fou.
C’est drôle avec quelle précision me revient chaque souvenir. Je me souviens de mon froid, de ma peine, de ma frustration de ne pas avoir Martin à moi. Je voulais qu’il m'emmène dans ses songes, je voulais
voir le monde tel qu’il lui apparaissait. Je voulais être aussi folle que Van Gogh.
Le lendemain, je suis rentrée seule à Bruxelles. Il voulait rester à Amsterdam encore un peu, c’était prévu comme ça. Il n’était pas revenu à l’hôtel, ou peut-être que si et qu’il s’était levé très tôt. Je lui en voulais un peu de disparaître comme ça.
J’ai espéré jusqu’au dernier moment qu’il apparaisse pour venir me conduire à la gare. Sur le trajet, cramponnée à un piquet de bus, j’ai encore cru qu’il serait là, sur le quai. Que je pourrais le serrer une dernière fois dans mes bras. Une dernière fois... Pourtant, il devait revenir à Bruxelles seulement quatre jours plus tard.
Lorsque le train s’est éloigné doucement d’Amsterdam, j’ai posé mon visage contre la vitre et je me suis mise à pleurer très doucement. Le jeune homme assis à côté de moi m’a tendu très gentiment un mouchoir en me disant quelque chose en néerlandais.
Martin n'est jamais revenu. Pas une lettre, pas un coup de fil. Ni à ses parents ni à moi.
Je lui en veux. Il n’avait pas le droit. Quand on aime comme je l’aimais, on s’approprie, c’est comme ça.
Demain je pars à Amsterdam. Trois ans déjà... Il a pu aller n'importe où. Je ne le retrouverai sûrement pas. Je le sais et pourtant...
Mes paupières sont rouges sang, j’ai mal à force de refouler mes larmes. Trois ans !!!
J’aime à penser qu’il s’est évaporé comme de l’eau. Que soudainement il s’est transformé en nuage, en poussière, et qu’il s’est envolé... Parce que de l’imaginer vivant, racontant à d’autres ses songes, ça me rend malade.
Demain, je pars à Amsterdam.
***
Le musée est silencieux et presque vide, à cette heure-ci. J’y suis presque. Dans la salle où j’ai vu Martin pour la dernière fois. Peut-être qu’il y sera toujours ? Des racines auront poussé de ses pieds et
ce garçon-arbre sera une oeuvre d’art au même titre que les peintures de Van Gogh.
Je m’arrête devant chaque tableau, mon coeur bat si vite qu’il fait trembler les murs. Je regarde sans voir, je me prends pour Martin, les yeux plongés dans les couleurs. Les couleurs de Van Gogh qui sont si vives que j'en ai mal à la tête.
Il y a sûrement un indice, quelque part, la trace de ses pas, un de ses cheveux ! Mais non. Seulement le silence et mon atroce nausée. J’évite de regarder la toile, je ferme résolument les yeux, décidée à ne pas pleurer.
C’est absurde. Pourquoi serait-il resté ?... Pour m’attendre ?
Des images qui ne sont pas les miennes filent comme des oiseaux dans ma tête. Des nuages rouges, un soleil mauve, une mer infinie, une île... Et Martin, qui flotte comme un bout de bois mort sur l’eau... Je le sens tout autour de moi, les bras de ses pensées m’entourent...
Et soudain il est là, tout à côté. Il est un peu plus grand et ses cheveux sont plus courts. Il a toujours un sourire de travers et les mains dans les poches.
Les larmes me brouillent la vue, il me serre la main très fort. Il commence à raconter: «La mer est immense et des poissons argentés filent très vite à la surface de l’eau...»
Je crois que moi aussi j’ai dans la tête un pays. Il s’appelle Martin.